mercredi 23 octobre 2013

accumulation...

...tribute to Alfred

le fruit de la discorde

Je chante les héros dont Esope est le père,
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,
contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d'un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d'une plus forte voix
Les faits de test aïeux et les vertus des rois.
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures.
Et, si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.

à Monseigneur le DAUPHIN
Jean de La FONTAINE

jeudi 17 octobre 2013

archéologie



Un corbeau, ayant volé un morceau de viande, s’était perché sur un arbre. Un renard l’aperçut, et, voulant se rendre maître de la viande, se posta devant lui et loua ses proportions élégantes et sa beauté, ajoutant que nul n’était mieux fait que lui pour être le roi des oiseaux, et qu’il le serait devenu sûrement, s’il avait de la voix. Le corbeau, voulant lui montrer que la voix non plus ne lui manquait pas, lâcha la viande et poussa de grands cris. Le renard se précipita et, saisissant le morceau, dit : « Ô corbeau, si tu avais aussi du jugement, il ne te manquerait rien pour devenir le roi des oiseaux. »
Cette fable est une leçon pour les sots.
Du corbeau et du renard
fable d'Esope (VIIe-VIe siécle avant J-C)

samedi 12 octobre 2013

du bestiaire et de l'ornithologie à la philosophie...


ANIMAL, s. m. (Ordre encyclopédique. Entendement. Raison. Philosophie ou science. Science de la nature. Zoologie. Animal.) Qu'est - ce que l'animal? Voilà une de ces questions dont on est d'autant plus embarrassé, qu'on a plus de philosophie & plus de connaissance de l'histoire naturelle. Si l'on parcourt toutes les propriétés connues de l'animal, on n'en trouvera aucune qui ne manque à quelqu'être auquel on est forcé de donner le nom d'animal, ou qui n'appartienne à un autre auquel on ne peut accorder ce nom. D'ailleurs, s'il est vrai, comme on n'en peut guere douter, que l'univers est une seule et unique machine, où tout est lié, et où les êtres s'élevent au - dessus ou s'abaissent au - dessous les uns des autres, par des degrés imperceptibles, en sorte qu'il n'y ait aucun vide dans la chaîne, et que le ruban coloré du célèbre Père Castel Jésuite, où de nuance en nuance on passe du blanc au noir sans s'en apercevoir, soit une image véritable des progrès de la nature; il nous sera bien difficile de fixer les deux limites entre lesquelles l'animalité, s'il est permis de s'exprimer ainsi, commence et finit. Une définition de l'animal sera trop générale, ou ne sera pas assez étendue, embrassera des êtres qu'il faudrait peut - être exclure, et en exclurra d'autres qu'elle devrait embrasser. Plus on examine la nature, plus on se convainc que pour s'exprimer exactement, il faudrait presque autant de dénominations différentes qu'il y a d'individus, et que c'est le besoin seul qui a inventé les noms généraux; puisque ces noms généraux sont plus ou moins étendus, ont du sens, ou sont vides de sens, selon qu'on fait plus ou moins de progrès dans l'étude de la nature. Cependant qu'est - ce que l'animal?
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Introduction extraite de la définition d'animal, tiré de l'Encyclopédie de Diderot & d'Alembert (début d'édition, 1751). Cet article a été rédigé par Diderot, cependant cette introduction provient de l'ouvrage Histoire naturelle (début d'édition 1749) de M.de Buffon.

mardi 1 octobre 2013

Chacun ses souvenirs de Suéde


Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas s'isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent, apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel. 

Albert Camus
Discours de Suéde
Prix Nobel 1957